En ce moment j'ai envie d'être optimiste, allez savoir pourquoi j'ai besoin d'espérer... Je sais, pour ceux qui me connaissent un peu la phrase précédente est stupéfiante !
J'ai donc commencé hier soir la lecture d'un ouvrage dont j'ai entendu parler il y a un petit moment, "Le Ministère du Futur" de Kim Stanley Robinson (Orbit 2020, Bragelonne 2023). Il s'agit du portrait ambitieux et optimiste (!) d'une humanité prête à coopérer pour éviter le désastre. L'auteur (une légende de la science-fiction) imagine la création en 2025 (!) d'une nouvelle agence des Nations Unies dont l'objectif est simple : défendre les générations à venir et protéger toutes les créatures vivantes, actuelles et futures. Cette agence est vite surnommée "le Ministère du Futur" et sa directrice prend sa mission très au sérieux : aide aux plus démunis, négociations avec les puissances financières pour contenir les émissions de carbone, surveillance de l'écoterrorisme... Mais faudra-t-il employer des moyens plus radicaux ? L'humanité saura-t-elle emprunter le chemin de la coopération pour éviter l'effondrement ?
Dans cet imposant roman choral (plus de 100 chapitres en un peu plus de 500 pages), Kim Stanley Robinson met en scène avec imagination et rigueur l'avenir vers lequel nous nous dirigeons à toute allure... et rappelle qu'il nous reste une petite chance de surmonter les défis extraordinaires auxquels nous sommes déjà confrontés.
J'ai envie de vous recopier ci-dessous l'intégralité du très court chapitre 8 :
« L'humanité brûle environ quarante gigatonnes de carbone fossile par an, sachant qu'une gigatonne équivaut à un milliard de tonnes. Les scientifiques ont calculé que l'on pouvait encore en brûler cinq cents gigatonnes avant de franchir le cap d'une température moyenne mondiale supérieure de 2 °C à ce qu'elle était au début de la révolution industrielle; d'après eux, c'est la limite au-delà de laquelle des effets vraiment dangereux frapperont la majeure partie des biorégions de la planète, notamment en ce qui concerne la production de nourriture.
Certains ont questionné la dangerosité réelle de ces effets. Pourtant, l'énergie reçue du soleil a déjà tendance à rester dans le système terrestre plus qu'à s'en échapper, à raison de 0,7 watt par mètre carré de surface. Ce qui signifie une hausse inexorable des températures moyennes. Or un phénomène de température humide à 35 °C tuera toutes les personnes touchées, même nues et à l'ombre; la combinaison de chaleur et d'humidité empêche en effet la sudation d'évacuer la chaleur en excès, ce qui provoque une mort rapide par hyperthermie. Des températures humides à 34 °C ont été enregistrées dès le début des années quatre-vingt-dix, dont une fois à Chicago. Le danger semble assez évident.
Cinq cents gigatonnes, donc. Sauf que l'industrie des combustibles fossiles a d'ores et déjà localisé dans le sol au moins trois mille gigatonnes de carbone. Lesquelles sont considérées comme des actifs dans les bilans financiers des entreprises qui les ont repérées, et comme des ressources nationales dans les discours des États-nations où elles se situent. Seul un quart de ce carbone est entre les mains d'entreprises privées; le reste est sous le contrôle de diverses nations souveraines. La valeur théorique des deux mille cinq cents gigatonnes qui devraient rester sagement sous terre, calculée au cours actuel du pétrole, est de l'ordre de mille cinq cents billions de dollars américains.
Il n'est pas impossible que ces deux mille cinq cents gigatonnes de carbone finissent par être considérées comme des sortes d'actifs irrécupérables mais, en attendant, d'aucuns essaieront de vendre et de brûler la portion qu'ils contrôlent ou possèdent, tant qu'ils en auront la possibilité. Juste de quoi encaisser un billion ou deux, se disent-ils. Pas de quoi franchir le cap des 2 °C. Rien qu'une dernière petite dose. Les gens en ont besoin.
Les dix-neuf plus grosses entreprises qui s'adonneront à ce jeu seront, par ordre de taille décroissante: Saudi Aramco, Chevron, Gazprom, Exxon-Mobil, National Iranian Oil Company, BP, Royal Dutch Shell, Pemex, Petróleos de Venezuela, PetroChina, Peabody Energy, ConocoPhillips, Abu Dhabi National Oil Company, Kuwait Petroleum Corporation, Iraq National Oil Company, Total SE, Sonatrach, BHP Group et Petrobras.
Les décisions prises par ces entités seront le fait d'environ cinq cents personnes. De braves gens. Des politiciens patriotes, soucieux du bien-être de leurs chers concitoyens; des cadres supérieurs consciencieux et travailleurs, remplissant les missions confiées par leur conseil d'administration et par leurs actionnaires. Des hommes pour la plupart, souvent des pères de famille, cultivés et bien intentionnés. Des membres estimés de leur communauté. Qui donnent aux œuvres de charité. Qui vont au concert et sont touchés, au fond du cœur, par la beauté tragique de la Quatrième Symphonie de Brahms. Des gens qui veulent le meilleur pour leurs enfants. »
En 2021, un an donc après la publication du "Ministère du Futur", Alexandra Shungudzo Govere, américano-zimbabwéenne (!) au parcours éclectique a publié sous le nom de scène Shungudzo, un premier album au titre éloquent : "I'm not a mother, but I have children" ("Je ne suis pas mère mais j'ai des enfants"). Un titre qui n'exprime en rien un désir de maternité (« Je ne sais pas si cela viendra un jour » a-t-elle expliqué au magazine Elle par Zoom depuis Los Angeles) mais évoque son engagement contre les inégalités depuis l'enfance. « Je suis née en Pennsylvanie, mais j'ai passé mes dix premières années au Zimbabwe, un pays alors sous dictature où régnait la misère. J'aurais pu être traumatisée, mais cela m'a donné au contraire l'énergie de combattre. Je n'y peux rien, je me sens responsable, mon psy dirait même un peu trop ! Et je suis consciente de mes privilèges : avoir reçu une bonne éducation, avoir voyagé, et même avoir la peau claire, ce qui peut malheureusement apparaître comme un avantage. » Première sportive de couleur à représenter le Zimbabwe en gymnastique artistique aux Jeux Panafricains de 1999, elle a créé à 15 ans une organisation pour venir en aide aux orphelins du sida, étudié le génie civil à l'université de Stanford avant de devenir journaliste, actrice dans une émission de télé-réalité sur MTV, puis se mettre à écrire des chansons, remarquées par le producteur d'Alicia Keys. Un parcours percutant, mais émaillé d'abus, aussi bien dans le sport que dans l'industrie musicale. Mais l'intrépide Shungudzo dit tenir son optimisme de son père : « Pour lui, chaque jour est un jour radieux. »
Après une courte introduction, ce sympathique album démarre véritablement par une chanson percutante, un véritable hymne militant, à la fois pop, folk, gospel, soul et surtout débordant de joie de vivre : "It's a good day (to fight the system)". C'est sur cet air proprement jubilatoire que je vous propose de partouzer cette semaine
Autre chouette chanson présente sur l'album : "The world can't change for you, but you can change the world"... Il parait qu'il est désormais « plus facile d'imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme » (une citation attribuée aussi bien au critique littéraire et théoricien marxiste américain Frederic Jameson qu'au philosophe slovène Slavoj Žižek). Je vous propose de réactiver nos imaginaires en écoutant ces deux titres, posé(e) tranquilou en terrasse, tout en sirotant un bon cocktail (Molotov)...
À l'instar de Shungudzo, je ne suis pas père mais j'ai des enfants
Spéciale dédicace à tous les papas. Bonne Partouze Joyeuse Fête des Pères !
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