Samedi dernier, j'étais nonchalamment en train de déjeuner en bonne compagnie dans une crêperie près du Canal Saint-Martin, un de ces lieux bobos que l'on adore détester (ou déteste adorer, ça dépend des jours) quand tout à coup nous nous sommes rendus compte que la rue avait été complètement envahie par les Gilets Jaunes et leurs compagnons de jeu les Compagnies Républicaines de Sécurité !...

L'aubergiste a fini par baisser sa grille pour protéger son établissement et nous a fait sortir par la cour puis par la porte cochère de l'immeuble et nous nous sommes donc retrouvés dans la rue en question, derrière un très long cordon de policiers en armure... J'ai tout doucement (tout simplement, à la manière de Bibie...) tapoté l'épaule du policier qui se trouvait devant moi et lui ai humblement demandé s'il nous serait possible de remonter le flux en sens inverse et si on nous laisserait passer une fois arrivés au bout de la rue.
Il m'a fort cordialement répondu que c'était tout à fait possible et qu'on nous laisserait passer... Dubitatifs nous nous sommes donc engagés à contre-sens et j'ai passé là sans doute les dix minutes les moins insouciantes de ma vie, la boule au ventre et la gorge serrée car depuis quelques mois, sans jamais y avoir été directement confronté, j'ai peur de la Police Nationale...

Ce jour-là, près de la Gare de l'Est, à tout juste 50 mètres de l'endroit où nous nous trouvions, ont été filmées ces "images d'un homme, visiblement blessé, interpellé et tenu au sol par un CRS". La scène se passe devant l'Armurie de la Gare de l'Est, un repère topographique bien connu dans ce quartier, à l'angle des rues des Récollets et du Faubourg Saint-Martin et l'on peut se demander l'intérêt pour l'AFP, le Figaro ou le Parisien de diffuser ces images qui sont devenues bien anodines ces derniers temps...
En effet, ce que ne montrent pas ces images c'est ce qui s'est passé quelques instants auparavant, la raison pour laquelle cet homme à terre a le visage ensanglanté... et ces images-là sont beaucoup plus intéressantes, beaucoup plus riches de sens... pour les trouver il faut un peu fureter sur le ouaibe et l'on trouve sans trop grande difficulté CECI (si vous cliquez sur ce lien, les GAFAM et la DGSI sauront que vous êtes de dangereux islamo-gauchistes, vous voici prévenus...) où l'on reconnait sans peine ce bout de trottoir parisien quand on connait un peu les lieux...

Quand je vois ces images-là, j'ai envie de dire à ce policier, mon semblable, mon frère, visiblement en manque d'amour et de tendresse que cet homme à terre est lui aussi son semblable et son frère, que lui aussi est - comme nous tous - en manque d'amour et de tendresse.
J'ai envie de prendre ce policier par l'épaule et de lui dire de respirer un grand coup, d'expirer lentement, d'écouter battre son coeur et de se mettre à l'unisson de l'univers...
J'ai envie de m'asseoir avec lui sur un banc et de l'inviter à enlever son casque pour le remplacer par un autre casque, audio celui-là, pour écouter "Yellow is the Colour", sans doute une des plus belles compositions du pianiste norvégien Bugge Wesseltoft (une des grandes figures du nu jazz), publiée en 2001 sur l'album "New Conception of Jazz : Moving".
Je nous imagine passer les 10'40" que dure ce morceau apaisant assis côte à côte sur ce banc, chacun un écouteur dans une oreille comme le font les adolescents partageurs, une main plaquée sur l'autre oreille pour nous couper du fracas du monde, un sourire enfantin aux lèvres...
Puis, une fois le morceau achevé, nous étirer sans doute, bailler peut-être, nous regarder étonnés, nous relever et repartir chacun de son côté, apaisés, réconciliés, prêts à reprendre le cours de nos brèves existences.

Spéciale dédicace et Total Respect à toutes les personnes présentes ou évoquées sur le Mur Jaune.

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Bugge_Wesseltoft_-_New_Conception_of_Jazz_-_Moving