La Partouze Musicale

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dimanche 28 mai 2023

La Partouze Musicale #152 (2023/21)

Demain c'est le lundi de Pentecôte, un jour dont les moins de vingt ans ne peuvent se rappeler qu'il fut férié pendant plus de 200 ans, de 1801 à 2004. Suite à la canicule de 2003, le Phénix du Poitou (comme le surnomme le Canard Enchaîné) - un de ces brillantissimes hommes d'état que le monde entier(1) nous envie et dont les moins de vingt ans ont la chance de ne pas se rappeler - eut l'idée géniale d'en faire une journée de solidarité envers les personnes âgées et handicapées... Il faut désormais poser un jour de congé pour ne pas travailler ce jour-là, c'est toujours ça de pris à ces fainéants de gaulois réfractaires !

Figurez-vous qu'il est un pays dont les habitants bénéficient de 16 jours fériés par an, soit 5 de plus qu'en France et c'est (suspense insoutenable, roulement de tambour...) le Japon ! Les japonais n'ont pourtant pas la réputation d'être des feignasses(2)... Il faut dire qu'à contrario, le nombre de jours de congés payés ne s'élève en moyenne qu'à 18 au Japon contre 30 en France... Les raisons pour lesquelles un jour est férié au Japon sont assez différentes des nôtres et relativement représentatives des différences culturelles existant entre nos deux pays. Je trouve donc intéressant de vous en faire la liste :

  • 1er janvier : Nouvel An
  • 2ème lundi de janvier : Seijin shiki (jour de la Majorité, des Adultes)
  • 11 février : Kenkoku kinen no Hi (jour de la fondation du Japon)
  • 23 février : anniversaire de l'empereur Naruhito (l'actuel empereur)
  • 20 ou 21 mars : équinoxe de printemps
  • 29 avril : Showa no Hi (anniversaire de l’empereur Showa, plus connu sous le nom de Hirohito...)
  • 3 mai : Kempō Kinenbi (jour de la Constitution)
  • 4 mai : Midori no Hi (jour de la Verdure)
  • 5 mai : Kodomo no Hi (jour des Enfants)
  • 3ème lundi de juillet : Umi no Hi (jour de la Mer)
  • 11 août : jour de la Montagne. La date du 11/08 août a été choisie parce qu'en kanji, les idéogrammes utilisés pour l'écriture japonaise, le 8 ressemble à une montagne et le 11 à un arbre :-)
  • 3ème lundi de septembre : Keirō no Hi (fête du Respect pour les Personnes Âgées(3))
  • 22 ou 23 septembre : équinoxe d’automne
  • 2ème lundi d’octobre : Taiiku no Hi (jour de la Santé et du Sport)
  • 3 novembre : Bunka no Hi (jour de la Culture)
  • 23 novembre : Kinrō Kansha no Hi (fête du Travail)

Qui plus est, au Japon, deux règles fort intéressantes s'appliquent aux jours fériés : lorsque l'un deux tombe un dimanche, le lundi suivant est automatiquement chômé (je sais, ça vous espante !) ; si un jour travaillé se retrouve entre deux jours fériés, il est également chômé (là, si vous êtes un acharné du boulot, ça devrait vous trouer le cul !). Ainsi, en 2019, un jour férié avait été déclaré le 1er mai (qui n'est pas la fête du Travail au Japon, un peu d'attention que diable !) pour l'accession au trône du nouvel empereur Naruhito et comme le 29 avril est un jour férié, le 30 avril a de fait été déclaré chômé en 2019 8-)

Vous aurez sans doute repéré l'enchaînement des 29 avril, 3, 4 et 5 mai qui a donné naissance à la Golden Week (littéralement semaine dorée !) pendant laquelle la majorité des Japonais prennent des vacances. Les écoles et les universités sont fermées et les entreprises fonctionnent avec un effectif minimal ou ferment également pour l'occasion car la plupart des employés s'en vont pour la semaine, souvent pour retourner dans leur région d'origine... Eh oui, il n'y a pas qu'en France que le joli mois de mai incite à lever un peu le nez du guidon ! ;-)

J'ai découvert le duo électro-pop japonais Macaroom grâce à l'excellent blog Made In Tokyo dont je ne saurais trop vous conseiller la fréquentation si vous aimez Tokyo, la photo, l'architecture et la musique ! Si Emaru, la chanteuse de Macaroom chante bien en Japonais, il semble que les paroles n'aient pas forcément de sens et qu'elles aient avant tout été choisies pour leurs sonorités. Le groupe pratique en effet ce qu'il appelle "phonelyrics" et qui a trait à la fonction sonore des mots qu'a étudié Asahi, le compositeur de Macaroom. Ça semble un peu ésotérique dit comme ça mais le résultat est fort intéressant et même très agréable, voire réconfortant. Comme le taulier de Made in Tokyo, je ne me lasse pas d'écouter Tombi, le quatrième titre de l'album "Swimming Classroom" (2018) considéré par certains comme un des meilleurs albums japonais de la décennie 2010... Une électro-pop très mélodique et très construite dont vous me direz des nouvelles ! ;-)

Spéciale dédicace à Mikaela, Olivier B, Yolène et Claire qui ont récemment ou vont très bientôt fêter leur anniversaire... Bonne Partouze Joyeux Anniversaire les ami·e·s ! :-D

Bon lundi de Pentecôte Bonne Partouze à tous·tes  ! ;-)

(1) Surtout la Chine dont il est un des plus ardents lobbyistes français...

(2) Ceci dit, pour avoir travaillé deux ans au Japon, j'ai pu constater que si les japonais passent effectivement beaucoup de temps sur leur lieu de travail, ils ne font pas qu'y travailler, loin de là !... ;-)

(3) Eh ouais, au Japon, en l'honneur des personnes âgées, il y a un jour férié depuis 1966... pas un jour où on travaille gratos depuis 2004 !

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Macaroom_-_Swimming_Classroom

dimanche 23 avril 2023

La Partouze Musicale Hors-Série #9

Le 24 octobre dernier, à la suite de La Partouze Musicale #138 (2022/42), Claudine, la mère de ma partouzeuse préférée, m'a envoyé le sms (so Y2K) suivant qui m'a particulièrement fait plaisir et que j'ai donc précieusement conservé dans la mémoire de poisson rouge de mon dumbphoneTM :

« Coucou mon gendre préféré. J'ai remarqué à la partouze précédente que ton message était bref, très bref...  Et voilà qu'à la dernière partouze tu récidives et en plus tu assumes. Quand notre partouzeur préféré retrouvera sa verve, son esprit, disons même son insolence ? Ça me manque. Bisous, Claudine. »

Message particulièrement bien rédigé de la part de ma belle-mère et néanmoins fidèle partouzeuse de la première heure qui - bien qu'ancienne professeure de français - était d'ordinaire expéditive, peu soucieuse des formes (hormis en littérature et en art) et dont les textos étaient d'habitude rédigés avec les pieds.

Claudine aimait passionnément ses trois enfants (deux garçons - des amis de 40 ans - et une seule fille, d'où la malice à me qualifier de gendre préféré ;-) ), la littérature et la poésie (elle collectionnait les éditions des "Fleurs du Mal") qu'elle avait fait découvrir à des générations d'élèves de lycée professionnel ainsi que la peinture (tout particulièrement Gérard Garouste, de 2 mois son cadet) qu'elle pratiquait avec un certain talent depuis qu'elle était à la retraite. La musique venait ensuite mais elle aimait découvrir de nouvelles choses et surtout adorait France Gall et Leonard Cohen.
Il y a quelques années, j'avais gagné 2 places (grâce aux Inrocks, qu'ils en soient remerciés) pour un des derniers concerts de Leonard Cohen à Toulouse (je ne crois pas qu'il soit ensuite revenu dans la Ville Rose) et ne pouvant y assister lui avait offert ces places (quel fayot !), elle en avait été enchantée :-)

Lorsqu'il publie son quatorzième album studio "You Want It Darker" en 2016 à 82 ans, deux semaines avant sa mort, Leonard Cohen a déjà une vie de chefs-d’œuvre derrière lui, dont beaucoup, comme "Hallelujah" pour ne citer que le plus célèbre, sont très imprégnés de thèmes religieux. "You Want It Darker", la chanson éponyme qui ouvre l'album, d'une durée de quatre minutes environ, consiste en la sombre confession religieuse d'un homme qui affronte sa propre mortalité. Les paroles empruntent beaucoup à la liturgie juive et à des textes bibliques. Les chœurs sont ceux du chantre et de la chorale de la congrégation Shaar Hashomayim, synagogue de la ville natale de Leonard Cohen, Montréal. De l'avis de ce rabbin, Gideon Zelermeyer, fan de très longue date de Leonard Cohen, il s'agit d'un "chef-d’œuvre immédiat".

Comme Bob Dylan, l'autre troubadour juif, Leonard Cohen entretient depuis longtemps une relation ambivalente avec le Dieu de l'Ancien (et du Nouveau) Testament. Il ne se contente pas de citer le Kaddish (la prière juive pour les morts, "magnifié, sanctifié...") mais il s'adresse aussi directement au Divin. Il s'agit du Dieu qui a exclu Leonard Cohen du jeu, ignoré le ''million de bougies'' allumées dans le vain espoir d'une rédemption et qui semble uniquement "vouloir assombrir''. En effet, Cohen chante (ou grogne) : “Ils mettent en rang les prisonniers et les gardes mettent en joue”. Si le monde est aussi sombre qu'il semble l'être, si l'humanité est si peu rachetable, alors Dieu doit le vouloir ainsi.

Le mot hébreu "Hineni", que Leonard Cohen répète dans la chanson, signifie littéralement "Me voici". "Hineni !" est prononcé par Abraham et d'autres figures bibliques. C'est une acceptation de responsabilité morale : me voici, je ne fuis pas.
La chanson-titre de l'album a été diffusée pour le 82ème anniversaire de Leonard Cohen et l'album est sorti un mois plus tard, à l'occasion de Yom Kippour. "Hineni" est également le titre de la prière récitée par le chantre durant Yom Kippour, il y confesse ne pas être digne de représenter la congrégation et se tenir humblement devant le Tout-Puissant. Cohen semble faire une confession similaire : Je suis peut-être un poète et une vedette mais Tu sais tout aussi bien que moi que je ne suis pas digne de tout cela. Je suis là devant Toi, prêt à ce que Tu m'emportes.
Le discours religieux agit bien sûr à un niveau plus profond que le sens littéral. Ce sont là les mots d'un homme malade de 82 ans au bout d'une longue vie charnelle et spirituelle. C'est de la poésie, non de la prose ; le cœur brisé et non l'esprit logique.

Leonard Cohen pratiquait également le bouddhisme et privilégiait la poésie iconoclaste des maitres zen à la méditation "en pleine conscience'' désormais à la mode dans la Silicon Valley. Il y a aussi une forme de zen dans "You Want It Darker", de l'ordre du "c'est ainsi, c'est tout" que Maître Cohen nous assène sans vernis et sans circonvolutions.

Les paroles sont remarquablement mises en valeur par la production du morceau, au lieu d'en être affadies comme dans certains de ses enregistrements passés. Adam Cohen, le fils de Leonard, lui aussi chanteur et musicien, joue la simplicité avec une ligne de basse, des percussions acoustiques et électroniques, et un subtil orgue Hammond en arrière-plan. Le son est actuel, surtout pour un octogénaire, mais l'accent est mis sur les paroles et sur la lancinante musique sacrée.
Est-ce qu'un chanteur né en 1934 a sorti un hit en 2016 ? Probablement pas. Se souviendra-t-on de ce chef-d’œuvre tardif longtemps après que Leonard Cohen nous a quitté ? Absolument(1).

Pour plein de raisons qu'il serait vain d'énumérer ici, Claudine et moi aurions dû nous détester cordialement.
Elle aimait au contraire m'appeler malicieusement son gendre préféré. Quant à moi, je l'aimais bien (c'était quand même une emmerdeuse de compétition !) mais je ne le lui ai jamais dit, je suis cependant certain qu'elle le savait.
Claudine a rejoint Leonard Cohen (pour lequel elle avait vraisemblablement le béguin) vendredi 14 avril, עליה השלום.

Bonne Partouze Claudine ! 8-)

(1) Tout ce qui précède est une traduction partielle et personnelle de ceci dont une fort grossière version en français est disponible .

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Leonard_Cohen_-_You_Want_It_Darker

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