La Partouze Musicale

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jeudi 13 juillet 2023

La Partouze Musicale Hors-Série #10

Mardi soir, en rentrant de ma séance mensuelle de shiatsu, j'achevais la lecture du numéro de juin du Monde Diplomatique dans le métro(1) par la section Livres du Mois et quelle n'a pas été ma surprise de tomber sur la recension suivante écrite par Jean-Louis Mingalon ! 8-O

« PLAYLIST. Musique et sexualité - Esteban Buch
   Éditions MF, Paris, 2022, 312 pages, 20 euros.
On aurait pu s’en douter mais pas à ce point. Amorcée dans les années 1990, grâce notamment à l’émergence de la musicologie féministe, l’exploration de la relation entre musique et sexualité prend aujourd’hui une nouvelle dimension avec le travail de haute volée d’Esteban Buch, Argentin installé en France et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dans une succession de seize essais illustrés, à lire séparément et dans n’importe quel ordre, il analyse, parfois après enquête et non sans humour, comment la musique intervient dans « notre économie des plaisirs » selon son expression, et inversement comment le sexe surgit dans les pratiques musicales, quel que soit le genre concerné (savant, populaire, vocal et même instrumental). C’est dire que le territoire arpenté est immense et convoque des œuvres sensiblement diverses, de Wolfgang Amadeus Mozart (Don Giovanni) ou Richard Wagner (Tristan et Isolde) à Dmitri Chostakovitch (Lady Macbeth de Mzensk) ou Kurt Weill (L’Opéra de quat’sous), sans oublier Serge Gainsbourg (Je t’aime… moi non plus) ou Madonna (Erotica). La lecture est parfois ardue mais l’agrément de la découverte est souvent à la hauteur de l’effort. » :-)

La présentation sur le site de la maison d'édition est encore plus appétissante, pour ne pas dire carrément émoustillante :
« L’ouvrage Playlist. Musique sexualité est constitué de seize essais autonomes, qui explorent tour à tour la musique dans les pratiques sexuelles, et le sexe dans les pratiques musicales. Il se déploie d’une thématique vers l’autre, comme un texte de sociologie de la musique qui virerait insensiblement au texte de musicologie. Quel est aujourd’hui le rôle de la musique dans la vie sexuelle des personnes, la réelle comme la fantasmée ? Quelles sont les représentations de la sexualité dans les œuvres musicales, celles du répertoire classique comme celles des genres populaires ? Quelle a été, de l’Antiquité à nos jours, la trajectoire historique de ces imbrications ? Comment cette histoire dialogue-t-elle, dans la période contemporaine, avec le devenir marchand de la musique, et avec sa numérisation ? Comment la musique s’insère-t-elle dans l’histoire sonore de la sexualité, ce territoire méconnu des sound studies ? Quelles conséquences cette enquête peut-elle avoir pour repenser les pouvoirs de la musique ?
Telles sont les questions que ce livre se propose d’explorer. Chaque chapitre aborde ce vaste domaine à partir d’une entrée singulière, comme une série de variations sur un thème musical, ou une playlist thématique. Ce choix formel fait écho à la diversité des œuvres concernées : Don Giovanni de Mozart, Tristan et Isolde de Wagner, Lady Macbeth de Chostakovitch sont ainsi revisités, entre autres classiques, tout comme Je t’aime moi non plus de Gainsbourg, L’importante è finire de Mina, ou Erotica de Madonna, entre autres tubes. Plus récemment, la diffusion sur internet d’une music for sex et les dispositifs de recommandation des plateformes de streaming incitent à revisiter la critique adornienne de l’industrie culturelle, les idées de Guy Debord sur les femmes dans la société du spectacle, ou encore l’enquête sur la sexualité de Pasolini dans son film Comizi d’amore.
Le livre se veut ainsi à la fois une enquête empirique et une proposition théorique, qui discute avec la musicologie féministe et les queer studies, avec les sciences cognitives de l’écoute et du plaisir, avec la sociologie de la culture et l’histoire culturelle. En envisageant la musique comme un dispositif technique aux usages diversifiés, de la présence anthropomorphe à la « musique d’ameublement », il esquisse une écologie sonore capable de rendre compte à la fois des logiques du plaisir et de celles de la domination, à commencer par la domination des hommes sur les femmes. Si la musique n’a cessé, au cours de l’histoire, d’énoncer et de faire sentir par les sons l’amour et ses attachements, le désir et ses imaginaires, l’ambition ultime de Playlist est de contribuer à une conception renouvelée des formes temporelles de l’expérience humaine. » :-D

Quant au sommaire, mes amis, c'est un véritable poème lascif ! ;-)

  1. Plages
  2. Sex playlists
  3. Enquête sur la sexualité, ossia Il Don Giovanni
  4. Monique et Rémy et les autres
  5. Machines du meilleur des mondes
  6. Googler Music for Sex
  7. Les amants de Hollywood
  8. Triangle à Pompéi
  9. Dada et Isolde
  10. Tangos savants
  11. Pornophonie d’État
  12. Aimer la musique
  13. Le chant des filles-marchandises
  14. Je t’aime et cætera
  15. Extases neuronales
  16. Remède à la mélancolie

En somme, cet ouvrage constitue le cadeau idéal à offrir (se faire offrir et même s'offrir) à l'occasion du quatrième anniversaire de La Partouze Musicale demain vendredi 14 juillet ! :-D

Je vous suggère de le lire en écoutant l’œuvre du folk singer suédois José González(2), par exemple son dernier album (et quatrième album studio) "Local Valley" (2021). Un beau disque qui s'ouvre par une superbe chanson en espagnol, "El Invento",  la toute première chanson de José González en espagnol(3), la langue maternelle de ses parents argentins.
Il a confié que cette chanson lui a été inspirée par sa fille : « De temps en temps, j’essaie d’écrire des paroles en espagnol – cette fois, j’ai réussi ! Je suppose que le fait de parler à Laura en espagnol tous les jours m’a aidé. J’ai commencé à écrire "El Invento" vers 2017. Elle avait alors sept mois. La chanson traite des questions – qui nous sommes, où nous allons et pourquoi ? Qui pouvons-nous remercier pour notre existence ? Historiquement, la plupart des traditions ont inventé des réponses à ces questions. D’où le nom de la chanson : "El Invento" (l'invention(4)). »

Spéciale dédicace à Giovanni dont c'était l'anniversaire ce jour... Bonne Partouze Joyeux Anniversaire l'ami ! :-D

J'achève ce billet alors que les tirs de mortiers d'artifice commencent à résonner dans le lointain...
Bonne Partouze Nationale ! 8-)

(1) Eh ouais c'est mon côté "bobo parisien" (pléonasme) totalement assumé : j'aime me faire tripoter par des mains expertes, je prends les transports en commun, suis éco-responsable et islamo-gauchiste, par conséquent je lis le Diplo 8-)

(2) Eh ouais on peut être suédois et s'appeler José González, tout comme on peut être français et s'appeler Zinedine Zidane ou Omar Sy, si si ! ;-)

(3) Il chantait jusque là exclusivement en anglais et sur ce dernier album il interprète même une chanson en suédois écrite et composée par sa compatriote Laleh Pourkarim (oui, c'est un nom perse) ;-)

(4) Vous aurez compris que José González se dit athée, il est également flexitarien et adepte de l'altruisme efficace, en somme complètement woke ! ;-)

Ecouter avec Deezer     Ecouter avec Spotify     Vidéo-clip

Jose_Gonzalez_-_Local_Valley

dimanche 23 avril 2023

La Partouze Musicale Hors-Série #9

Le 24 octobre dernier, à la suite de La Partouze Musicale #138 (2022/42), Claudine, la mère de ma partouzeuse préférée, m'a envoyé le sms (so Y2K) suivant qui m'a particulièrement fait plaisir et que j'ai donc précieusement conservé dans la mémoire de poisson rouge de mon dumbphoneTM :

« Coucou mon gendre préféré. J'ai remarqué à la partouze précédente que ton message était bref, très bref...  Et voilà qu'à la dernière partouze tu récidives et en plus tu assumes. Quand notre partouzeur préféré retrouvera sa verve, son esprit, disons même son insolence ? Ça me manque. Bisous, Claudine. »

Message particulièrement bien rédigé de la part de ma belle-mère et néanmoins fidèle partouzeuse de la première heure qui - bien qu'ancienne professeure de français - était d'ordinaire expéditive, peu soucieuse des formes (hormis en littérature et en art) et dont les textos étaient d'habitude rédigés avec les pieds.

Claudine aimait passionnément ses trois enfants (deux garçons - des amis de 40 ans - et une seule fille, d'où la malice à me qualifier de gendre préféré ;-) ), la littérature et la poésie (elle collectionnait les éditions des "Fleurs du Mal") qu'elle avait fait découvrir à des générations d'élèves de lycée professionnel ainsi que la peinture (tout particulièrement Gérard Garouste, de 2 mois son cadet) qu'elle pratiquait avec un certain talent depuis qu'elle était à la retraite. La musique venait ensuite mais elle aimait découvrir de nouvelles choses et surtout adorait France Gall et Leonard Cohen.
Il y a quelques années, j'avais gagné 2 places (grâce aux Inrocks, qu'ils en soient remerciés) pour un des derniers concerts de Leonard Cohen à Toulouse (je ne crois pas qu'il soit ensuite revenu dans la Ville Rose) et ne pouvant y assister lui avait offert ces places (quel fayot !), elle en avait été enchantée :-)

Lorsqu'il publie son quatorzième album studio "You Want It Darker" en 2016 à 82 ans, deux semaines avant sa mort, Leonard Cohen a déjà une vie de chefs-d’œuvre derrière lui, dont beaucoup, comme "Hallelujah" pour ne citer que le plus célèbre, sont très imprégnés de thèmes religieux. "You Want It Darker", la chanson éponyme qui ouvre l'album, d'une durée de quatre minutes environ, consiste en la sombre confession religieuse d'un homme qui affronte sa propre mortalité. Les paroles empruntent beaucoup à la liturgie juive et à des textes bibliques. Les chœurs sont ceux du chantre et de la chorale de la congrégation Shaar Hashomayim, synagogue de la ville natale de Leonard Cohen, Montréal. De l'avis de ce rabbin, Gideon Zelermeyer, fan de très longue date de Leonard Cohen, il s'agit d'un "chef-d’œuvre immédiat".

Comme Bob Dylan, l'autre troubadour juif, Leonard Cohen entretient depuis longtemps une relation ambivalente avec le Dieu de l'Ancien (et du Nouveau) Testament. Il ne se contente pas de citer le Kaddish (la prière juive pour les morts, "magnifié, sanctifié...") mais il s'adresse aussi directement au Divin. Il s'agit du Dieu qui a exclu Leonard Cohen du jeu, ignoré le ''million de bougies'' allumées dans le vain espoir d'une rédemption et qui semble uniquement "vouloir assombrir''. En effet, Cohen chante (ou grogne) : “Ils mettent en rang les prisonniers et les gardes mettent en joue”. Si le monde est aussi sombre qu'il semble l'être, si l'humanité est si peu rachetable, alors Dieu doit le vouloir ainsi.

Le mot hébreu "Hineni", que Leonard Cohen répète dans la chanson, signifie littéralement "Me voici". "Hineni !" est prononcé par Abraham et d'autres figures bibliques. C'est une acceptation de responsabilité morale : me voici, je ne fuis pas.
La chanson-titre de l'album a été diffusée pour le 82ème anniversaire de Leonard Cohen et l'album est sorti un mois plus tard, à l'occasion de Yom Kippour. "Hineni" est également le titre de la prière récitée par le chantre durant Yom Kippour, il y confesse ne pas être digne de représenter la congrégation et se tenir humblement devant le Tout-Puissant. Cohen semble faire une confession similaire : Je suis peut-être un poète et une vedette mais Tu sais tout aussi bien que moi que je ne suis pas digne de tout cela. Je suis là devant Toi, prêt à ce que Tu m'emportes.
Le discours religieux agit bien sûr à un niveau plus profond que le sens littéral. Ce sont là les mots d'un homme malade de 82 ans au bout d'une longue vie charnelle et spirituelle. C'est de la poésie, non de la prose ; le cœur brisé et non l'esprit logique.

Leonard Cohen pratiquait également le bouddhisme et privilégiait la poésie iconoclaste des maitres zen à la méditation "en pleine conscience'' désormais à la mode dans la Silicon Valley. Il y a aussi une forme de zen dans "You Want It Darker", de l'ordre du "c'est ainsi, c'est tout" que Maître Cohen nous assène sans vernis et sans circonvolutions.

Les paroles sont remarquablement mises en valeur par la production du morceau, au lieu d'en être affadies comme dans certains de ses enregistrements passés. Adam Cohen, le fils de Leonard, lui aussi chanteur et musicien, joue la simplicité avec une ligne de basse, des percussions acoustiques et électroniques, et un subtil orgue Hammond en arrière-plan. Le son est actuel, surtout pour un octogénaire, mais l'accent est mis sur les paroles et sur la lancinante musique sacrée.
Est-ce qu'un chanteur né en 1934 a sorti un hit en 2016 ? Probablement pas. Se souviendra-t-on de ce chef-d’œuvre tardif longtemps après que Leonard Cohen nous a quitté ? Absolument(1).

Pour plein de raisons qu'il serait vain d'énumérer ici, Claudine et moi aurions dû nous détester cordialement.
Elle aimait au contraire m'appeler malicieusement son gendre préféré. Quant à moi, je l'aimais bien (c'était quand même une emmerdeuse de compétition !) mais je ne le lui ai jamais dit, je suis cependant certain qu'elle le savait.
Claudine a rejoint Leonard Cohen (pour lequel elle avait vraisemblablement le béguin) vendredi 14 avril, עליה השלום.

Bonne Partouze Claudine ! 8-)

(1) Tout ce qui précède est une traduction partielle et personnelle de ceci dont une fort grossière version en français est disponible .

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Leonard_Cohen_-_You_Want_It_Darker

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