La Partouze Musicale

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dimanche 5 février 2023

La Partouze Musicale #145 (2023/05)

(Intro) Dans l'appartement au sous-sol, près des garages / là où les gens balancent leurs (vieux) matelas / Esther est dans sa cuisine, en train de faire des sandwiches / Les lattes de ses stores sont toutes branlantes et tordues / On peut la voir depuis la rue avant qu'elle soit hors de vue / pour aller faire sauter les bottes de ses pieds fatigués / Elle s'essuie le front avec son poignet / Elle vient d'enchaîner deux services / Esther est aide-soignante, elle fait les nuits / Derrière elle, sur le mur de la cuisine / il y a une image en noir et blanc d'hirondelles en vol / Ses yeux sont irrités, ses muscles endoloris / Elle décapsule une bière et la boit au goulot / Elle la presse sur ses lèvres assoiffées / et renverse la tête en arrière jusqu'à ce qu'elle soit vide / Il est 4h18, encore une fois / Sa tête est pleine de tout ce qu'elle a fait aujourd'hui / Elle sait qu'elle ne fermera pas l’œil / avant que le soleil ne se lève / Ce soir elle s'inquiète de l'état du monde / Elle s'inquiète tout le temps / Elle ne sait pas comment elle est censée / chasser ça de son esprit :

L'Europe est perdue, l'Amérique, perdue, Londres, perdue / et pourtant on crie victoire / Tout ce qui n'a aucun sens règne / L'histoire ne nous a rien appris / Les gens sont morts durant leur vie / hébétés dans l'éclat des rues / Mais voyez comme le trafic (routier) continue / Le système est trop bien huilé pour tomber en panne / Les affaires vont bien, et il y a des groupes (qui jouent) tous les soirs dans les pubs / et deux verres pour le prix d'un dans les boîtes de nuit / Et on a bien fait sa toilette, / effacé le boulot et le stress / et maintenant tout ce qu'on veut c'est de l'excès / encore mieux, une nuit mémorable qu'on aura vite oubliée / Tout le sang versé pour développer ces villes / tous les corps tombés / les racines qu'on a extirpées du sol / pour qu'on puisse jouer à ces jeux / je les vois dans les taches sur mes mains / Les bâtiments hurlent / mais je ne peux pas pour autant appeler à l'aide, personne ne me connaît / Hostiles, inquiets, seuls / on se déplace en meutes et voici les droits qu'on nous a donnés à la naissance / Travailler toujours plus afin de pouvoir être tout ce qu'on veut / et puis danser pour faire passer la corvée / Mais même les drogues ont fini par être ennuyeuses / Enfin bon, le sexe c'est encore bien, quand on arrive à en avoir.

Dormir, rêver, garder le rêve à portée de main / Chacun son rêve, ne pleure pas, ne crie pas / Garde tout ça en toi, continue à dormir / Qu'est-ce que je vais faire pour me réveiller ?

Je sens le coût de tout ça pousser mon corps / comme j'enfonce les mains dans mes poches, et doucement / je marche et je réalise que c'est tout ce qu'on mérite / Les fautes de notre passé on ressurgi / malgré tout ce qu'on a fait pour en effacer les traces / Mon propre langage est entaché / de tout ce qu'on a volé pour le remplacer par ça / Je suis calme, sentant l'émeute venir / Les émeutes sont minuscules alors que les systèmes sont immenses / Le trafic (routier) continue, preuve qu'il n'y a rien à faire / car c'est le big business, baby et son sourire est hideux / Violence venue d'en-haut, violence structurelle / Tes gosses sont shootés aux calmants / mais t'inquiète pas pour ça, mec, inquiète-toi plutôt des terroristes / Le niveau des eaux monte ! Le niveau des eaux monte ! / Les animaux, les éléphants, les ours polaires meurent ! / Arrête de pleurer et va consommer, et pour les marées noires ? / Chut ! Personne n'aime les rabats-joie.
Massacres, massacres, massacres, nouvelle paire de chaussures / Des enfants ghettoïsés assassinés en plein jour / par ceux qu'on paye pour les protéger / Du porno live en streaming dans les chambres de vos pré-ados / Plafond de verre, même pas assez haut / La moitié d'une génération vit sous le seuil de pauvreté / Mais bon, c'est la happy hour dans la grand rue / Vendredi soir, enfin, les gars, c'est ma tournée ! / Tout allait bien jusqu'à ce que ce gosse se prenne une bouteille sur la tête dans le dernier bar / C'est parti en couille, demande à Lou / C'était dingue, il y avait du sang partout / Et si on parlait des immigrés ? Je peux pas les sentir / En gros, je m'occupe de mes oignons / mais ils viennent surtout ici pour s'enrichir, c'est une plaie / Angleterre ! Angleterre ! Patriotisme ! / Et on se demande pourquoi des gosses veulent mourir pour la religion ? / Ça marche comme ça, bosse toute ta vie pour une misère / tu finiras peut-être manager, prie pour une augmentation / raye les jours ternes de ton calendrier avec pin-ups / Les anarchistes cherchent désespérément quelque chose à démolir / Des photos scandaleuses de rappeurs à la mode / dans des magazines people, qui sort avec qui ? / Du cash dans une enveloppe pour un politicard / surpris en train de sniffer des rails sur les seins siliconés d'une prostituée / de retour à la Chambre des Lords après une tape sur les doigts / Ils enlèvent des enfants(1) et baisent des têtes de porc(2) / mais lui là-bas avec sa capuche et deux-trois pétards / foutez-le en taule, c'est lui le criminel / foutez-le en taule, c'est lui le criminel / C'est la génération PleinLeCulDeToutÇa / le produit du placement de produit et de la manipulation / Shoot'em up, brutal, devoir de diligence / Allez, de nouvelles pompes,  une belle coiffure, foutaises ! / Des ballades à l'eau de rose et des selfies, des selfies, des selfies / et là c'est moi devant le palais de mon moi ! / Se construire une identité et une psychose / entre temps les gens sont morts en masse / et, non, personne ne s'est rendu compte de rien ; enfin si, quelques-uns s'en sont rendus compte / ça se voyait aux emojis qu'ils ont postés.

Le sommeil te couvre les yeux comme une main gantée / Les lumières sont si agréables et brillantes, alors dormons / mais certains d'entre nous sont coincés comme des cailloux dans le flot / Qu'est-ce que je vais faire pour me réveiller ?

Nous sommes perdus, nous sommes perdus, nous sommes perdus / et pourtant rien ne va s'arrêter, rien ne fait une pause / Nous avons des ambitions, des amitiés et des flirts auxquels penser / des divorces qu'on boit pour oublier / L'argent, l'argent, le pétrole / La planète est ébranlée et pillée / Et la vie est un jouet / un vêtement à salir / Le labeur, le labeur / Pas la moindre conclusion en vue / juste la fin / Comment pourrait-on aimer ça ? / Quand les tribus sont mortes dans leurs déserts / pour laisser place à des structures étrangères ? / Développez, développez / et tuez ce que vous trouvez si ça vous menace / Aucune trace d'amour dans la chasse au pognon / dans ce pays où personne n'en a rien à foutre.

"Europe is Lost" a été publiée en 2016 sur l'album "Let Them Eat Chaos"(3), le deuxième album de Kae Tempest, figure britannique du spoken word, un an après qu'iel ait été nommé membre de la Royal Society of Literature.
C'est l'ami Arnaud qui m'a récemment rappelé l'existence de Kae Tempest dont j'avais vraisemblablement entendu parler sur FIP, mis ses deux premiers albums en Favoris(4) sur Deezer puis complètement oublié...
J'ai donc écouté ses albums, désormais au nombre de trois (pas faciles à comprendre, merci le ouaibe !), ce week-end ; quelle claque mes amis ! ;-)

"Let Them Eat Chaos" est un concept album qui suit sept personnes vivant toutes dans la même rue mais qui ne se sont jamais rencontrées. Jusqu'à ce qu'un matin, à 4h18, une tempête leur fasse quitter leurs foyers et se rencontrer pour la toute première fois...
Le dernier morceau, "Tunnel Vision" est porté par un beat de pulsations cardiaques et s'achève par ces paroles :

The myth of the individual has left us disconnected, lost, and pitiful
I’m out in the rain
It’s a cold night in London
And I’m screaming at my loved ones to wake up and love more
I’m pleading with my loved ones to wake up and love more

Il ne fait aucun doute que seule la partouze pourrait sauver le monde ;-)

Spéciale dédicace à l'ami Arnaud pour m'avoir fait (re)découvrir Kae Tempest, à Michaëla (a.k.a. Michou 007) dont c'est l'anniversaire demain (aujourd’hui au moment où j'achève ce billet !), à Mélissa qui aura 17 ans mercredi ainsi qu'à l'ami Paul F dont ce sera l'anniversaire jeudi... Bonne Partouze Joyeux Anniversaire les amis ! :-D

Bonne Partouze à tous·tes  ! ;-)

(1) Ce n'est vraisemblablement pas Kae Tempest qui est adepte des théories de QAnon mais Esther, son personnage... ;-)

(2) Allusion à un soi-disant épisode peu glorieux de la jeunesse d'un éminent homme politique britannique déjà oublié...

(3) "Qu'on leur donne le chaos", littéralement "qu'ils bouffent du chaos", j'adore ce titre ! J'en ai une version personnelle : "qu'ils aillent tous se faire frire le cul !" :-D

(4) Je n'utilise pas cette fonction pour répertorier mes albums préférés mais comme pense-bête : 1985 albums à écouter au moment où j'écris ces lignes 8-)

Ecouter avec Deezer     Ecouter avec Spotify     Vidéo-clip

Kae_Tempest_-_Let_Them_Eat_Chaos

dimanche 2 octobre 2022

La Partouze Musicale #136 (2022/39)

Les trois flics policiers responsables de la mort par asphyxie d'Amadou Koumé, le 5 mars 2015 dans une rue de Paris, ont été condamnés, la semaine dernière, par le tribunal correctionnel à quinze mois de prison avec sursis. Ils avaient maintenu la victime à plat ventre pendant 6'30".
Pour à peu près les mêmes faits sur la personne de George Floyd, un flic policier américain a été condamné à vingt et un ans de prison. Et son crime avait déclenché la vague de manifestations Black Lives Matter.
Autre temps, autre lieu, conclut Le Canard Enchaîné.
Il n'y pas de racisme systémique en France, circulez il n'y a rien à voir.

La semaine dernière l'ami Laurent m'a fait remarquer en commentaire que Pharoah Sanders et la reine d'Angleterre étaient décédés. C'est son commentaire qui m'a appris la mort du premier, il faut croire que pendant deux jours je n'avais pas écouté FIP aux bons moments ni consulté le moindre site d'information sur le ouaibe... Quant à la télévision, je ne la regarde jamais en direct mais je doute que le moindre JT ait évoqué ce décès, corrigez moi si je me trompe !
En revanche pour ignorer la mort de la seconde, il aurait fallu que je sois plongé dans le coma les trois dernières semaines...
Pharoah Sanders n'a pas eu de funérailles nationales, il n'y a pas eu de chefs d'État ou de dignitaires étrangers à ses obsèques, pas de procession, pas d'exposition de son cercueil au public pendant plusieurs jours, pas de cirque médiatique pendant deux semaines...
A mon humble avis qui n'engage que moi et dont il se trouve que je le partage, il a pourtant bien plus apporté à l'humanité que la dame aux Welsh Corgis.

C'est grâce au collectif(1) Brooklyn Funk Essentials que j'ai découvert la musique de Pharoah Sanders. Leur premier album, "Cool and Steady and Easy" (1994) contient en effet une reprise on ne peut plus groovy de "The Creator Has a Master Plan" qui eut à l'époque son petit succès.
Ce morceau est à l'origine bien plus contemplatif et beaucoup plus long (32'46" !), il constitue la pièce maitresse de l'album "Karma" (1969), œuvre pionnière du spiritual jazz et considéré comme le chef-d’œuvre de Pharoah Sanders.
J'ai récemment eu a la surprise d'apprendre que Brooklyn Funk Essentials existait encore et s'était produit le 10 septembre au New Morning à Paris. C'est leur version on ne peut plus vivante de "The Creator Has a Master Plan" (et de seulement 5'50") que je vous propose d'écouter :-)

Spéciale dédicace à Amadou Koumé et Pharoah Sanders, RIP.

Bonne Partouze à tous·tes  ! 8-)

(1) Un collectif est à un groupe ce qu'un roman graphique est à une bande dessinée, c'est à dire la même chose mais avec une appellation plus noble, moins susceptible d'écorcher la bouche d'un·e journaliste de Télérama goûtant peu la véhémence gutturale ;-)

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Brooklyn_Funk_Essentials_-_Cool_and_Steady_and_Easy

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