Il y a environ 25 ans, un beau jour de printemps, j'avais rendez-vous avec une charmante jeune femme que je m'étais mis en tête de courtiser. Ayant une forte propension à arriver en retard aux rendez-vous quels qu'ils soient - non par goujaterie mais par sous-estimation pathologique et donc systématique des temps de trajet... - j'avais décidé ce jour-là d'ajouter carrément une heure (!) à la durée du trajet entre le laboratoire du CNRS où j'effectuais ma thèse de doctorat et le salon de thé du centre de Toulouse où je devais retrouver la belle 8-)

J'étais alors en pleine traversée du désert scientifique, à un moment de mon travail de recherche où strictement rien n'avançait car le système d'épitaxie par jets moléculaires utilisé par mes sympathiques et éminents collègues pour fabriquer les composants optoélectroniques que j'étudiais était en panne depuis plusieurs mois... Je n'avais donc pas grand-chose à faire et ne m'en cachais pas (je n'ai jamais su faire semblant de travailler, soit je travaille, soit je fais autre chose) ce qui m'avait valu l'attention particulière du directeur de recherche à la tête de mon équipe de rattachement. Il avait décidé de superviser en personne - en sus de mon directeur de thèse - la non-avancée prolongée (bien qu'absolument non-intentionnelle) de mes travaux... Me croisant donc dans le couloir alors que je m’apprêtais visiblement à quitter le laboratoire de bonne heure - chose inconcevable pour ceux qui se pensent investis de la noble mission de faire progresser l'état des connaissances humaines - il m'interpella pour improviser (debout dans ledit couloir) un point de non-avancement de mon travail de recherche qui nous permit en une bonne vingtaine de minutes de parvenir à la (prévisible) conclusion que rien n'avait avancé pour des raisons somme toute connues de tous... Plus que 40 minutes d'avance ;-)

A ma sortie du laboratoire, quelle ne fut pas ma stupéfaction d'en trouver l'accès interdit par une compagnie de CRS protégeant les lieux d'un groupe de scientifiques révoltés(1) venus signifier bruyamment leur mécontentement à leur ministre de tutelle visitant ce jour-là le laboratoire ! Cette visite m'était complètement sortie de l'esprit, j'avais bien d'autres priorités... mais il y avait désormais entre mes priorités (à commencer par prendre le bus à l'arrêt se trouvant devant le laboratoire) et moi une double barrière humaine, celle des CRS et celle des manifestants (des islamo-gauchistes avant l'heure !). En me frayant tant bien que mal un passage à travers ces deux groupes qui se contentaient à l'époque de s'empêcher mutuellement de bouger en un rituel presque bon enfant que les LBD et les grenades de désencerclement n'étaient pas encore venus moderniser disrupter, j'ai vu passer le bus sans marquer l'arrêt puisqu'il ne s'y trouvait personne... Plus que 20 minutes d'avance ;-)

Le laboratoire était très mal desservi par les transports en commun, le bus suivant passerait une heure plus tard et ne me permettrait pas d'être à l'heure... Qu'à cela ne tienne, il ne me restait plus qu'à me rendre (à pied) au terminus d'un autre bus, bien plus fréquent et allant au centre-ville depuis le campus universitaire voisin. Après 20 minutes de marche j'ai donc atteint ce terminus où m'attendait sagement un de ces bus accordéons qui desservaient l'Université Paul Sabatier avant le métro et étaient relativement fréquents... Plus du tout d'avance mais pas de problème, j'étais encore largement dans les temps 8-)

Pour une raison que je n'ai jamais sue (un mouvement social improvisé ? une punition karmique pour une grosse bêtise commise dans une vie antérieure ? la faute à pas de chance ?), je suis resté assis au fond de ce bus à l'arrêt - seul passager à bord et aucun chauffeur au volant - pendant près d'une heure... Il y a 25 ans aucun de ces moyens de communication  moderne dont sont aujourd’hui dotés même les enfants de 8 ans (« Tu comprends, c'est plus sûr avec tous ces islamo-gauchistes qui infestent nos rues ! ») ne me permettait de prévenir de mon retard ; il aurait fallu pour ce faire me rendre à la cabine téléphonique la plus proche (j'avais bien une télécarte !) ce qui impliquait de descendre du bus et donc prendre le risque de le laisser partir ! 8-O

Fort logiquement, je suis arrivé au Bolbu (un endroit charmant que les toulousains connaissent bien) avec une heure de retard... Lorsque je suis entré, pas de trace de la belle. J'avais à peine ouvert la bouche pour m'adresser à la serveuse qu'elle m'a répondu « Elle est partie il y a un quart d'heure » :-(

Le lendemain je lui ai fait envoyer des fleurs avec un petit mot d'excuse (à la belle, pas à la serveuse !). Au bout de quelques jours sans le moindre signe de sa part, je me suis décidé à l'appeler (idem) pour m'assurer qu'elle avait bien reçu les belles tulipes jaunes et surtout le petit mot... Elle m'a répondu que c'était "disproportionné" (sic), j'en suis resté sans voix.

"L'appuntamento" ("le rendez-vous") est une belle chanson qui ouvre l'album "Appuntamento con Ornella Vanoni" publié en 1970. C'est une chanson qui a voyagé puisqu'elle a été écrite en 1969 par les brésiliens Roberto Carlos et Erasmo Carlos sous le titre "Sentado à Beira do Caminho" ("Assis au bord du chemin") et était inspirée de la chanson "Honey (I miss you)" (1968) de l'américain Bobby Russel. La grande chanteuse italienne Mina l'a interprétée sur son album "Mina canta o Brasil", intégralement enregistré en portugais en 1970 avant que la tout aussi grande Ornella Vanoni ne l'interprète en italien sur un texte de Bruno Lauzi. C'est une chanson mondialement connue qui a également eu droit à des versions en espagnol, en allemand (par Julio Iglesias !?), en grec et même en japonais ! Les paroles d'origine décrivent le désespoir d'un amant qui attend sa bien-aimée...

Il s'est écoulé un certain temps (et un temps certain) avant que mon chemin ne recroise celui de la belle. Il s'est avéré qu'elle aimait elle aussi les partouzes (musicales !) et nous avons donc décidé de faire un bout de chemin ensemble. Nous avons fêté notre vingtième anniversaire (de non-mariage) hier, le 1er mai(2) :-D

La bêtise commise dans une vie antérieure ne devait pas être bien grave(3)... Bonne Partouze à tous ! ;-)

(1) Dans les média (dits) sérieux on dit "en grogne" car le petit peuple grogne (comme les bêtes) pendant que l'élite s'évertue à le guider vers la lumière 8-) (d'où les lunettes de soleil).

(2) Vous avez bien compté, il s'est écoulé cinq ans... je suis très patient ! (il y a là un fort subtil jeu de mots que seuls les initiés peuvent saisir) ;-)

(3) Et pour ceux qui se poseraient la question, une fois le système d'épitaxie par jets moléculaires réparé, ma thèse de doctorat ne s'est pas trop mal terminée non plus ! ;-)

Appuntamento_con_Ornella_Vannoni