Contrairement à Camille Chamoux, je ne suis pas né sous Giscard  mais sous Pompidou (A long time ago in a galaxy far, far away...). J'ai cependant grandi sous Giscard et le souvenir le plus vif que je conserve de cette période est celui de la véritable explosion de joie de mes parents lorsque s'afficha sur l'écran de télévision un visage(1) autre que le sien le 10 mai 1981(2).

Valéry Giscard d'Estaing nous a quittés et toute la classe politique française a tenu à faire son éloge, comme il est d'usage. Il semble que la mort nous rende tous vertueux et formidables. De mon modeste point de vue, le principal mérite de Giscard est d'avoir le premier eu l'honnêteté de dire à nos concitoyens que la France est "une puissance moyenne". Pour le reste, je crois que son septennat a très bien été résumé par l'ami blogueur prototypiste : « Giscard est le président de tout ça. De la fin des temps héroïques. Du début du monde fini. De la fin de la croissance. Du début du capitalisme décomplexé et de la dictature financière. »

Le véritable legs de Giscard est ailleurs(3).
Comme le démontrent brillamment la réalisatrice Catherine Aïra et l'éminent Yves Le Pestipon dans le film qu'ils ont coécrit en 2015, "Giscard, le grand art ?", Giscard est le plus grand artiste contemporain de tous les temps.
Son œuvre artistique (romans, performances, installations(4)...) excite un public paradoxal qui la dénonce et s’en délecte. Avec elle, depuis des années, Giscard semblait tout faire pour détruire son image politique qu’il avait durablement construite. Il est une énigme qui peut faire rire et qui peut émouvoir, qui suscite le dédain ou la méditation infinie sur l’homme, sur l’art, sur la nature de l’intelligence.
A travers une enquête de terrain et des expérimentations, le film "Giscard, le grand art ?" pose de manière sensible des questions subversives. Il fait apparaître la béance sidérante d’une œuvre et d’un homme.(5)

Sachez mes amis que la renommée artistique de Giscard a largement franchi nos frontières, elle a même traversé l'Atlantique. Figurez-vous que sa plus célèbre performance, l'inoubliable séquence télévisuelle sobrement intitulée "Au revoir" du 19 mai 1981 - 34" d'art contemporain à l'état pur - a inspiré jusqu'à aujourd'hui certains de ses plus grands confrères.
Par exemple, Vince Gilligan, créateur et showrunner de la monumentale(6) série télévisée américaine "Breaking Bad", qui, né sous de Gaulle l'année de son audacieuse tentative de libération du Quebec, avait 14 ans lors de l'extraordinaire performance de Giscard. L'a-t-il vue en direct à la télévision américaine(7) ?! L'a-t-il découverte bien plus tard lors de ses études de cinéma à la New York University Tisch School of the Arts ? Quoi qu'il en soit, il lui rend un hommage appuyé lors de l'une des séquences les plus marquantes de "Breaking Bad", son œuvre phare.

Dans l'épisode final (#13) de la quatrième saison (S4E13 en langage sériel), "Face Off" (2011), écrit et réalisé par Vince Gilligan en personne, il cite littéralement Giscard tout en se permettant - car l'art peut tout se permettre - d'inverser la temporalité de la célèbre performance du maître.
Dans une scène éblouissante, l'inoubliable personnage de Gustavo Fring (interprété par l'immense Giancarlo Esposito) marche vers son destin (extrait #1) jusqu'à la chambre de son ennemi juré, Hector "Tio" Salamanca (Mark Margolis) paralytique en fauteuil roulant (extrait #2(8)), face auquel il va s'asseoir (sur un fauteuil lui aussi), fauteuil qui va s'avérer être l'instrument du destin... La marche, fort bien, le fauteuil, certes, mais où est donc l'aurevoir me direz-vous, l'air goguenard(9) ? Eh bien sachez béotiens mes amis que le morceau de musique sépulcral qui illustre la marche de Gus (et dont les premières notes ont retenti dès le moment où il a quitté son bureau quelques minutes auparavant) jusqu'à son entrée dans la chambre d'Hector (extrait #1, suivez un peu !) s'intitule tout simplement "Goodbye". Goodbye, la marche, le fauteuil, l'aurevoir, la boucle est bouclée.
Quel grand art que voilà ! :-D

"Goodbye"(10) est une chanson extraite du quatrième album d'Apparat, le projet électro du musicien allemand Sascha Ring (né sous Giscard et bien trop jeune pour avoir assisté en direct à la séminale performance du maestro dont le retentissement fut considérable outre-Rhin) et figurez-vous que cet album s'intitule "The Devil's Walk" (2011), c'est fou, non ?! ;-)
Il s'agit d'un album fort intéressant, électro mais très mélodique et comportant de nombreux passages chantés, certains purement vocaux. Ring y joue même du ukulélé auquel il confère des sonorités inquiétantes voire diaboliques (!) comme dans "Goodbye", morceau sur lequel chante (superbement) l'artiste autrichienne Anja Plaschg, plus connue sous son nom de scène Soap&Skin. Assurément, du grand art ! :-D

Un géant nous a quittés. Très peu de gens ont remarqué que Giscard est mort le jour anniversaire de la bataille d’Austerlitz. C’était là, pour l’auteur de "La Victoire de la Grande Armée" un nouveau de coup de génie. Son fauteuil planera désormais dans le soleil de l’Histoire.

Spéciale dédicace pinélienne à Yves Le Pestipon, pas banal (et pourtant banalyste) Président de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse.

(1) Visage pixellisé façon Minitel, le top de l'infographie à l'époque ! ;-)

(2) Pour ceux qui n'ont pas vécu ce moment, il est remarquablement bien raconté dans la tout aussi remarquable bande dessinée d'Etienne Davodeau "Les Mauvaises Gens" ;-)

(3) Tout comme la vérité... ;-)

(4) Pour les plus jeunes, sachez qu'il s'agit là d'une photo de Brigitte Bardot, ancienne star de cinéma reconvertie en amie des animaux xénophobe (l'adjectif est au singulier car il concerne "BB" et non les animaux auxquels il peut certes arriver de se manger les uns les autres, y compris au sein d'une même espèce, mais qui ne connaissent pas la xénophobie, étant bien moins évolués que l'homme).

(5) Passage pompé sans vergogne sur la page de présentation du film. J'eus le plaisir - que dis-je, l'immense honneur - d'assister à sa première mondiale en mars 2016 à la Gaîté Lyrique :-)

(6) Et je pèse mes mots... si vous n'avez pas vu "Breaking Bad" je vous conseille de tout laisser tomber séance tenante et de consacrer les trois prochains jours à ce véritable chef-d’œuvre télévisuel qui dépasse de très (très) loin bien des grands films (ça dure 46 heures 30, je vous ai compté 8 heures de sommeil par jour histoire de conserver un mode de vie sain, pour le reste des chips et de la bière feront l'affaire) 8-)

(7) La télévision américaine n'a pas manqué de couvrir le terrible évènement que constitua le basculement de La France dans le camp bolchévique... La Grande Amérique, échaudée par les réactions internationales à sa petite opération locale de maintien de l'ordre dix ans plus tôt, décida de réagir plus subtilement et ses services réussirent en seulement deux ans la prouesse scientifique de remplacer François Mitterrand par un clone non plus au service des "forces de l'esprit" mais à celui des "forces de l'argent"...

(8) Attention, divulgâchage ! Si vous n'avez pas déjà vu "Breaking Bad"(6) je vous recommande de ne pas regarder cet extrait !... ;-)

(9) À moins que vous ne connaissiez la scène ou que vous soyez passé outre l'avertissement de la note précédente et ayez regardé l'extrait #2 jusqu'au bout, auquel cas vous savez bien que Gus nous tire là sa révérence... ;-)

(10) On me susurre dans l'oreillette que cette chanson est également celle du générique de la série télévisée allemande "Dark" dont on me dit aussi le plus grand bien... ce qui me permet de battre mon record personnel de notes de bas de page ! :-D

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Apparat_-_The_Devil_s_Walk